Ci-dessus, une affiche publicitaire lithographique datant de 1897, environ dix ans après le début de la propriété et du contrôle exclusifs de l'enterprise par M. Marcel Machin.

 

L'Usine Utile vit le jour en cette année mémorable de 1871, à l'époque où les derniers échos des bottes prussiennes s'éteignaient encore dans les rues pavées de la capitale, précisément trois mois après que l'armée allemande eut consenti à lever le camp, et un mois seulement après que les vaillants Communards de Belleville eurent livré leurs ultimes et héroïques combats contre les forces de l'ordre bourgeois. Cette entreprise singulière fut établie selon les principes de la coopération ouvrière, constituée en société où la propriété collective et le contrôle démocratique s'exerçaient de manière égalitaire entre tous les employés de l'établissement, depuis le contremaître jusqu'au plus humble portier, chacun jouissant d'une voix égale dans les délibérations qui régissaient le destin de leur commune entreprise. Les ouvriers fondateurs, nourris d'une érudition quelque peu approximative mais non moins passionnée, ayant puisé leur inspiration dans des fragments mal assimilés des œuvres de Bentham, de Hegel et de Spinoza — philosophes dont ils avaient saisi l'esprit général plutôt que la lettre précise — choisirent délibérément l'appellation simple et directe de « l'Utile », dénomination qu'ils conçurent comme un remède salutaire aux fièvres abstraites et aux élans mystiques qui caractérisaient si particulièrement leur époque troublée.

Vers le milieu de cette décennie des années 1880, des difficultés considérables vinrent assombrir l'horizon de l'entreprise : un chaos organisationnel croissant, conjugué à la faiblesse persistante des revenus, menaçait de compromettre irrémédiablement l'existence même de cette noble expérience coopérative. C'est en l'année 1887 que M. Marcel Machin parvint, au terme d'une série de manœuvres aussi audacieuses qu'habiles, et grâce à un concours de circonstances particulièrement favorables, à s'emparer du contrôle exclusif de l'entreprise, mettant ainsi fin à l'expérience démocratique originelle. Une période de croissance remarquable, que l'on pourrait qualifier de fulgurante, s'ensuivit alors, phénomène qui se prolongea bien au-delà du tournant du siècle.

Cependant, au cours du vingtième siècle qui s'écoulait, l'usine entreprit de se spécialiser progressivement dans la fabrication d'objets dont l'utilité pratique et la désirabilité commerciale s'amenuisaient de façon inversement proportionnelle à la sophistication de leur conception. Néanmoins, jusqu'à nos jours, un descendant direct de cette grande usine d'antan, un petit atelier de trois personnes, perpétue sa tradition singulière en continuant à fabriquer, avec un soin méticuleux qui force l'admiration, des bibelots, des babioles, des trucs, des colifichets et autres menus objets parfaitement superfétatoires.

 
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